Un 10 avril en plein désastre…
Nous sommes le vendredi 10 avril, après 3 semaines de confinement et à la veille du week-end pascal. Nous sommes le vendredi 10 avril et mes collègues syndicalistes et moi-même ressentons la nécessité de faire un premier bilan de la situation, à chaud.
Aux premiers jours de confinement, nous avons tout fait pour que les services publics dont nous avons la responsabilité fonctionnent au mieux dans un nouveau contexte et avec de nouvelles conditions de travail. Nous avons multiplié les contacts à tous les niveaux de pouvoir – fédéral, régions, communautés, provinces, communes – afin que tous les services poursuivent leurs missions dans les meilleures conditions possibles. Nous, les « preneurs d’otages » (comme certains aiment à nous appeler), avons négocié, concerté, discuté, nous nous sommes fâchés, nous avons même accepté des solutions ou aménagements qui, en temps normal, nous seraient inacceptables. Et les services tournent, tant bien que mal, et les fonctionnaires – les « fainéants » (que les mêmes aiment également à appeler) – sont sur le pont. Ils assurent.
Aujourd’hui, certains sont même remerciés, voire applaudis !
Dans un second temps, les problèmes pratiques, les demandes de nos collègues se sont multipliés. UNE demande en particulier a hanté et hante encore nos jours et nos nuits : le matériel de protection ; où sont les masques, les gants, les tabliers, le gel hydro alcoolique ? Et nous avons assisté impuissants à un mauvais film, une mauvaise saga, une pitoyable série B : élimination des stocks, non-remplacement des stocks éliminés, commande de mauvais masques, détournement de masques, masques pas arrivés, masques bloqués, masques non conformes…
Le dernier épisode d’hier jeudi 9 avril est l’arrivée de 3 millions de masques. Non conformes…
Nous sommes le vendredi 10 avril, après 3 semaines de confinement et nous sommes toujours sans masque, sans protection. A force de réformes de l’Etat et de régionalisations, nous avons en Belgique neuf (oui neuf !) Ministres de la santé et un Ministre chargé de la commande de masques. Et rien ! Nada, peau de balle. Ce pays n’est pas La Casa de papel, c’est la Maison en carton ! Pour reprendre les mots d’un collègue : « Au point où on en est dans ce pays, autant donner un ministère à Zorro. Au moins, lui, il s’y connait en masques… ».
Nous sommes le vendredi 10 avril. Mes collègues Secrétaires régionaux et moi-même ne trouvons plus les mots pour aider, soutenir ou rassurer notre « base ». Ce mot « base » est en fait bien terne. Nous parlons de collègues, de voisins, de proches, voire de conjoints. Nous parlons du personnel des soins de santé, de soins psychiatriques, d’accueils de nos ainés, du personnel de cuisine, du personnel d’entretien, des éboueurs, des fossoyeurs, policiers, pompiers, ambulanciers, ouvriers communaux ou dans les récyparcs, personnel d’intercommunales, aidesoignant(e)s, aides à domicile, accueillant(e)s d’enfants, accueil de l’asile, personnel des administrations fédérales, régionales, communautaires, provinciales ou locales… Il m’est impossible de les citer tous. Tous nous font part de leur mal-être, de leurs conditions de travail, des manques, surtout de tout ce qui manque. Nous les écoutons, nous relayons, nous remuons ciel et terre. Mais aujourd’hui, nous ne trouvons plus les mots pour les soutenir tant leur désarroi est fort…
Bruxelles, le 10 avril 2020
Est-il normal qu’en Belgique en 2020, je n’ai pas de masques, pas de tablier, pas de gants, pour me protéger ? Est-il normal que les seuls masques dont on dispose, ce sont des masques cousus par des bénévoles ? Est-il normal que nos hôpitaux soient obligés de faire un appel aux dons alors que plus de 170 milliards sont partis l’an dernier dans des paradis fiscaux ? Est-il normal que le gouvernement envisage le déconfinement quand près de 300 personnes sont mortes hier, dont deux aides-soignantes de maison de repos dont le personnel se sent l’otage de la crise ? Est-ce normal qu’en Belgique, on fasse appel à l’aide d’organismes comme médecins sans frontières ou médecins du monde ? Est-il normal que la task-force chargée de préparer « l’après Covid » soit composée d’experts en tous genres, mais qu’il n’y a pas le moindre représentant de la société civile et des travailleurs, ceux-là même qui sont sur le terrain ? Est-il normal de renvoyer les contrôleurs sociaux effectuer des contrôles sur le terrain alors qu’ils sont les premiers en faute, puisqu’ils ne disposent pas du matériel adéquat ? Est-il normal qu’à peine 10% des maisons de repos ont réalisé des tests sur le personnel et les résidents ? Est-il normal qu’une ministre et des bourgmestres soient plus préoccupés par les déchets verts et la réouverture de récyparcs que par protéger notre santé ? …
Nous sommes le vendredi 10 avril après 3 semaines de confinement et nos collègues ne comprennent pas. Ils vivent avec la maladie et côtoient la mort. Et ils ne comprennent pas. Ils nous font juste part de leurs angoisses, de leur désarroi, de leur dégoût et de leur colère. Surtout de leur colère !
Mesdames, Messieurs les responsables politiques, Au gré de coupes sombres dans les budgets des services publics, en particulier dans le secteur de la santé, vous avez préparé le terrain à un désastre. Aujourd’hui, nous y sommes. Et vous en êtes les premiers responsables. Vous êtes ce désastre. Le temps viendra où nous vous présenterons la facture.
Le Secrétariat wallon de le CGSP Admi
Un 10 avril en plein désastre