Fusionner commune et CPAS ? Un mirage économique. Mais une sourde menace.
Les CPAS sont au service de la population. Acteurs de changements, ils sont ouverts aux évolutions. Encore faut-il que la population y gagne. Selon certains, il faudrait les intégrer dans les communes. On peut légitimement se poser la question du pourquoi. Quel gain en cas de fusion commune-CPAS? A ce jour, aucune étude scientifique n’a démontré la plus-value de ce scénario. Il ne changera en rien les besoins des personnes en précarité et ceux financiers du CPAS sauf à restreindre fondamentalement son action et ses services.
Faisons un peu d’Economie politique-fiction. Fin du CPAS. Exit son Président? Il y aura un échevin à sa place. Et le Conseil de l’action sociale? Les agendas des réunions des organes des communes et CPAS sont chargés. Il ne sera pas possible lors d’une même séance de traiter les points actuellement abordés au Collège et au Conseil. On ne pourra débattre en public des dossiers d’aide sociale. Le mandataire local doit s’informer de législations nombreuses, complexes et mouvantes. C’est déjà pour lui une gageure. Un même édile ne peut avoir à la fois une bonne maîtrise des matières de police, d’environnement, d’aménagement du territoire,…et de celles relatives au droit d’intégration, aux maisons de repos, à l’insertion,…Sauf à altérer la qualité des décisions par manque de temps, de connaissance des législations, de lecture des dossiers et mettre à mal le respect de la vie privée et le droit à être entendu, il faudra créer dans la commune un organe décisionnel social avec des mandataires distincts.
Un fonctionnaire dirigeant en moins? Celui restant aura à gérer beaucoup plus d’agents, de services, de missions. Il réclamera pour ce surcroît de responsabilités un traitement majoré et un adjoint. Rapportée au budget communal, l’économie nette sera marginale ou nulle.
Une réduction des frais de fonctionnement? Si on les diminue drastiquement en CPAS, c’est l’accompagnement des personnes aidées et leurs perspectives d’insertion qui va en pâtir. Elles resteront plus longtemps à charge du CPAS. Ce qui sera épargné en fonctionnement sera perdu en dépenses d’aide sociale et de revenu d’insertion. Dans les services généraux de la commune, on demandera des effectifs supplémentaires vu le travail accru. En leur sein, il y aura un nombre nettement plus élevé d’agents.
Une intégration des services? A qualité et prestations maintenues, la logique des métiers imposera une juxtaposition. On ne peut remplacer un balayeur par un travailleur social; une infirmière par un cantonnier;… Derrière de mêmes appellations se trouvent des lois, réalités et expertises bien différentes. Le travail administratif pour un dossier d’endettement n’est pas celui pour un dossier d’état civil. A la gestion des ressources humaines, la majorité du personnel des CPAS est spécifique et les délais d’engagement parfois extrêmement courts. Au service recettes du CPAS, la récupération requiert une spécialisation pointue. Le risque est aussi que des agents connaissant partiellement le métier des CPAS fassent des propositions en délicatesse voire en contradiction avec leur droit ou réalité. Cela gonflera le contentieux, ses montants et les retards. Une détérioration des recettes à compenser sur fonds communaux est à prévoir. Durement touché par diverses politiques récentes, le personnel des CPAS subira-t-il un nouvel impact négatif?
A contrario, la fusion est lourde de dommages collatéraux. Si le CPAS devient un service communal, il sera en concurrence financière directe avec les autres et s’expose à devenir le parent pauvre, le laissé pour compte. Les moyens pour les démunis seront réduits. Avec une action sociale diluée dans un plus grand ensemble, il y aura plus de formalisme et de plus longs délais dans la prise de décision. Au préjudice de la personne aidée qui supportera le coût de paiements plus tardifs ou d’absence de versement. Davantage de précaires n’oseront même plus venir par peur d’être vus.
Le Législateur de 1976 a voulu un CPAS qui fasse preuve d’esprit d’union pour s’acquitter de ses délicates missions et soit à l’abri d’interférences politiques. Il a voulu son autonomie juridique, une composition proportionnelle de son organe décisionnel, un suffrage indirect et des réunions à huis clos. A contrario, la fusion induira un risque de politisation de la décision, soit une attribution des aides moins équitable et efficace. Alors que Vlabest, un organe d’avis indépendant sur la gestion de l’administration flamande, a jugé que les CPAS doivent continuer à exister avec une propre personnalité juridique et suffisamment d’autonomie opérationnelle, Madame Homans, Ministre NVA de l’Intérieur, n’a rien voulu entendre.
Un demandeur d’aide s’adresse en confiance au travailleur social d’un CPAS tenu au secret professionnel. En cas de fusion, le secret professionnel va être en péril car l’ensemble du personnel et politique communal n’a pas à le respecter.
Dans ce scénario, il faudra changer moult textes légaux et il y aura un imbroglio juridique. La fusion passe notamment par une modification de la loi organique des CPAS. Elle équivaut à défédéraliser de fait l’aide sociale. Au sens de la Charte de l’assuré social, le CPAS est une institution de sécurité sociale. Ce sera une nouvelle étape de sa scission. Une aide sociale variable par Région va créer une force centrifuge poussant à l’éclatement du droit à l’intégration sociale. Adeptes de la culpabilisation des pauvres, Nva et Vlaams Belang ne s’y sont pas trompés. L’un dicte la fusion au Fédéral. L’autre vient de déposer une proposition de loi en ce sens.
Si les réseaux contre la pauvreté veulent que les CPAS changent, ils ne souhaitent pas leur mort. Pour eux, les enjeux sont autres: population pauvre qui ne va pas au CPAS, qualité de l’accompagnement avec une demande massive, pauvreté croissante des jeunes, obsession de la fraude, partenariat avec l’associatif,…La fusion n’est pas une politique de qualité: elle ne place pas la personne au centre de l’aide.
Le contexte de finances publiques reste difficile. En CPAS, la question d’économies d’échelle est posée. Pour y répondre, d’autres voies que la fusion sont à emprunter. Des synergies existent entre Communes et Cpas et se concrétisent positivement dans de nombreux domaines. Complémentairement, entre CPAS, une logique de coopération peut dépasser les territoires et se fonder sur la spécificité des métiers et publics. Les territoires communaux ne correspondent pas aux territoires sociologiques. Les personnes sont mobiles. Les bassins de vie sont encouragés. La coopération entre CPAS prend des formes multiples à encourager. Harmonisations de pratiques, meilleurs coordination ou échange de données, synergies,…Groupement ou Association de CPAS sont aussi une option.
Les doubles emplois lèsent l’intérêt général. Dans une série de communes, il y a dispersion des actions publiques spécifiquement sociales. Il faut une approche globale de celles-ci. Les rassembler au CPAS le permet. Mons et Charleroi ont fait ce choix.
La Fusion commune-CPAS? Un mirage économique. Mais une sourde menace. Qui conduirait à une nouvelle scission de la protection sociale. A une aide sociale plus lente, plus rare et politisée. Au détriment des démunis. La plupart sont des femmes. Comme pour les allocations d’insertion, elles paieraient un lourd tribut à la réforme. Le vrai avenir des CPAS est à la coopération. Avec la personne au centre de l’action sociale.