Pour une autre politique des chemins de fer en Belgique.
Devant les défis sociaux, environnementaux et de mobilité, nous entendons dénoncer l’inadéquation, le manque d’ambition et les dangers de la politique belge en matière de chemin de fer.
Notre pays est l’un des plus embouteillés d’Europe. Les coûts économiques de cette mobilité sont gigantesques. Les coûts sociaux et d’infrastructure également : insécurité, stress, dégradation de la qualité de vie, entretien des routes. Se déplacer en voiture coûte en moyenne trois fois plus cher à la société que d’utiliser le train. Dans ce cadre, de nombreux Belges ont choisi le rail. La fréquentation du chemin de fer a augmenté de 46 % depuis 2000, prouvant le succès et la nécessité de ce mode de transport et l’urgence d’y investir pour assurer un service public de qualité et répondant à la demande.
Du point de vue environnemental, à quelques jours de la fin de la Cop21, le rail est une priorité. À politique inchangée, les émissions belges de gaz à effet de serre dues au transport ne diminueront pas d’ici 2030. Or, se déplacer en train plutôt qu’en voiture fait baisser ces émissions d’au moins 80%. En outre, cette pollution nuit à la santé. À titre d’exemple, les émissions de particules fines, dont un tiers sont liées au transport, font perdre en moyenne 36 mois d’espérance de vie à chaque Belge.
La politique de la ministre Galant et des dirigeants de la SNCB et d’Infrabel répond-elle à ces enjeux et aux attentes de la population ?
On annonce une baisse de la dotation des chemins de fer de 20 %. Affirmer qu’avec tant de moyens en moins le rail sera performant est impossible. Au contraire, alors que les voyageurs, devenus clients dans les documents officiels, sont soi-disant au centre des préoccupations, ces coupes vont nuire à la régularité des trains, au service, au confort, voire à la sécurité.
D’abord, ces restrictions budgétaires menacent 800 kilomètres de voies sur les 3800 du royaume, car l’offre y est jugée insuffisamment rentable. Il s’agit surtout de lignes rurales, où le service serait supprimé ou remplacé par des bus. De même, les trains hors heure de pointe, moins remplis, sont menacés. Ce mouvement va à l’encontre d’un service public couvrant les populations isolées ou contraintes de travailler à horaire décalé.
Deuxièmement, ces coupes restreignent et retardent les investissements. De nouveau, les tronçons plus rentables seront privilégiés, quand d’autres projets seront abandonnés. Parlons aussi du RER, dont l’issue est une nouvelle fois reportée. De plus l’allongement des chantiers pèse sur la qualité du service. Pour masquer cette situation et augmenter les statistiques de ponctualité, les temps de parcours ont été allongés : sur certaines lignes, les trains sont plus lents qu’il y a 30 ou 40 ans.
Un troisième enjeu est l’évolution des tarifs. Selon les dirigeants de la SNCB, le prix payé par les usagers pourrait augmenter de 50 %. Cela ira à l’encontre d’un service accessible à tous, le budget de transport pesant plus sur les plus pauvres. De même, l’idée de moduler les tarifs en fonction de l’heure d’utilisation pénalisera les navetteurs obligés de voyager aux heures d’affluence.
Quatrièmement, les réductions de personnel, on prévoit la disparition de 7000 postes, auront de nombreuses conséquences négatives : suppression de guichets, du service et du contrôle social qu’ils offrent, mise en place de trains sans accompagnateur, entravant encore l’accès des personnes à mobilité réduite, faute d’aide à l’embarquement, ainsi que le service et la sécurité dans les trains.
En sous-finançant délibérément le rail, cette politique vise en réalité à préparer sa libéralisation. En rendant la situation intenable – investissements reportés, suppression de services, nombre et qualité de trains insuffisants par rapport à la demande – ces décisions vont encourager l’entrée du privé pour combler ce que ne financera plus le public, voire la privatisation au rabais de services publics devenus inefficaces.
Pourtant, les exemples belges et étrangers montrent que la libéralisation mène dans le mur.
Commençons en Belgique. En 2011, dans le cadre de la politique européenne, le transport ferroviaire de marchandises y a été libéralisé. Depuis, de nombreux opérateurs privés sont actifs. Pourtant le trafic a baissé de 15 à 20 % !
Au Royaume-Uni la privatisation et la libéralisation du transport de voyageurs datent des années 1990. Ce rail privatisé coûte toujours autant à l’état britannique, n’est pas plus efficace, est beaucoup plus cher pour les usagers et est moins sûr. À ce sujet, en Belgique, plusieurs accidents majeurs impliquant des convois de marchandises se sont produits depuis la mise en œuvre de la libéralisation et sont le fait d’opérateurs privés.
Enfin, aux Pays-Bas, pays exemplaire aux yeux de la Ministre et des dirigeants du rail, la majorité des usagers sont insatisfaits du service libéralisé et privatisé et même les responsables ayant participé à ces décisions dénoncent leurs effets négatifs.
Pour répondre aux défis sociaux de mobilité et environnementaux, le rail est appelé à jouer un rôle crucial : plus écologique, il est aussi plus économique pour la société que les autres modes de transport, voiture en tête.
Loin des restrictions budgétaires qui mèneront à l’asphyxie des chemins de fer et de la population, un plan ambitieux est nécessaire. Un plan qui investit des moyens et de la main-d’œuvre dans un réseau dense, autour des grandes villes et dans les régions rurales. Un plan visant des tarifs moins élevés, car toute hausse est la meilleure publicité pour la voiture. Un plan ambitieux aussi pour les marchandises.
Un débat démocratique avec les usagers et les cheminots doit être mené sur les projets et sur les moyens pour améliorer le fonctionnement du rail. Devant le rouleau compresseur de la pensée libérale, osons un dépasser un tabou : défendons un rail public, pour le bien de la société, des finances publiques et de l’avenir de la planète.